La personne soignée : une personne qui se livre

"Certains soignants portent comme un bien plus précieux que l’expérience professionnelle cette mystérieuse mémoire composée de visages, de témoignages, de bribes de vie, d’émotions, de moments rares assemblés à travers des années d’engagement, de complicité et de sollicitude. Ces temps d’histoire et de confiance partagée, aux limites de ce qui se vit et se dit, inspirent et constituent l’esprit du soin."

La personne soignée : une personne qui se livre

Dans les lectures qui sont les miennes, j’avais un jour apprécié ce qu’Emmanuel Hirsch écrivait à propos de la relation de soin. Il disait que « certains soignants portent comme un bien plus précieux que l’expérience professionnelle cette mystérieuse mémoire composée de visages, de témoignages, de bribes de vie, d’émotions, de moments rares assemblés à travers des années d’engagement, de complicité et de sollicitude. Ces temps d’histoire et de confiance partagée, aux limites de ce qui se vit et se dit, inspirent et constituent l’esprit du soin ». Lorsque la maladie, la souffrance, le handicap ou la mort de l’autre nous interroge jusqu’au plus profond de notre existence, il convient de s’armer de patience et de travailler ensemble, unissant les richesses de vie des uns et des autres pour constituer et valoriser un soin encore et toujours possible. Marie de Hennezel et Johanne de Montigny, dans un ouvrage commun, écrivaient qu’« accompagner, ce n’est pas réagir, c’est ajuster » . Cet ajustement passe donc par ce que la personne peut nous dire d’elle, de son mal, de ses doutes ou craintes comme de ses espoirs et ses attentes, si elle le souhaite, le désire. On peut comprendre – et l’expérience le révèle aussi – que certaines personnes soient plus enclines à s’enfermer, hésitant d’exposer leur mal si étranger à ce qu’elles ont pu vivre jusqu’à présent ou, simplement, par pudeur, par envie de ne pas déranger ou inquiéter davantage.

En évoquant ces situations que nous avons rencontrées d’une manière ou d’une autre, me viennent en tête ces nombreuses rencontres que Jésus a pu vivre au cours de son parcours terrestre, des rencontres souvent bouleversantes où celles et ceux qui venaient à lui se livraient comme pour lui offrir ce que nul n’osait alors recueillir par ailleurs. Regardez le lépreux qui demande la guérison à Jésus (Mt 8, 1-4) ou encore ces démoniaques habitant dans des tombeaux parce que mis à l’écart des foules de l’époque (Mt 8, 28-34). Puis-je encore citer la guérison d’un enfant possédé, au cours de laquelle Jésus est mis au courant de tout ce mal qui le ronge depuis de trop nombreuses années (Mc 9, 14-29) ? Et puis, comment ne pas évoquer la résurrection d’un jeune homme à Naïn alors que la foule – avec à sa tête la mère de l’enfant, déjà veuve – accompagne le convoi mortuaire (Lc 7, 11-17) ?

Chaque fois, Jésus ne fait pas seulement que réaliser un geste miraculeux que sa parole annonçait comme un préalable nécessaire. Au contraire, l’impression qui est la mienne est qu’il prend d’abord le temps de la rencontre pour recueillir humblement les mots (maux) de chacun. J’imagine combien il pouvait être là, simplement, écoutant avec beaucoup d’attention ce qui lui était confié. Il est ce réceptacle capable d’accueillir l’histoire de chacun, une histoire tourmentée, compliquée, brisée par les événements de la vie, mais toujours encore capable de se dire, de se révéler même quand la mort semble avoir le dernier mot. Dans un contexte différent, regardez l’histoire bien connue de cette femme à laquelle la tradition attribue le qualificatif d’adultère (Jn 8, 1-11). Que fait Jésus ? Il la condamne ? Il la lapide ? Non, il écoute le récit qu’on lui fait de son histoire et, accueillant cette femme avec son péché et sa misère, renvoie chacun à sa conscience tout en libérant la femme de son mal, signe qu’elle peut composer à nouveau une histoire personnelle.

On retrouve là un appel que Jésus adresse à ses disciples quand il leur dit d’être « compatissants comme votre Père est compatissant » (Lc 6, 36). Bernard de Clervaux avait à ce titre de belles paroles : « Impassibilis est Deus, sed non incompassibilis » (« Dieu ne peut pas souffrir, mais il peut compatir »). Dans ce prendre soin, prêtant son oreille pour entendre encore l’infime souffle de vie, Jésus vit la compassion et invite à en faire autant, rejoignant ainsi ceux qu’il rencontre là où ils en sont. Il ne fait pas de grands discours ! Il n’est pas de ceux qui s’acharnent à dire, sans pour autant faire. Il est… simplement, là, présent, écoutant les confidences qui lui sont confiées. Dans sa réflexion sur le « prendre soin », le jésuite Henri Nouwen écrivait que « ce que nous donnons de plus beau, c’est peut-être notre capacité à devenir solidaires avec ceux qui souffrent » . Il y a là comme ce besoin de faire alliance avec ceux dont la vie est brisée ou qui se retrouvent impuissants devant la lourdeur et la complexité de leur vie. Derrière chacune de ces rencontres, aussi marquante soit-elle, on retrouve comme en écho ces mots que Jésus prononçait à ceux que guettaient la tempête sur le lac de Galilée : « N’ayez pas peur » (Jn 6, 20). Cette présence qui crée un partage de vie entre celles qui sont abîmées et celle de Jésus évoque – pour reprendre encore les mots d’Henri Nouwen – « l’aveu courageux que nous avons en commun besoin l’un de l’autre et c’est la grâce d’une compassion qui nous attache à des frères et sœurs comme nous, qui partagent avec nous le voyage tout à la fois merveilleux et douloureux de la vie ».

Il y a derrière cette visée-là, l’émergence de la notion d’« empathie » qui est considérée comme une entrée émotionnelle dans la souffrance de l’autre au point de la ressentir comme s’il s’agissait de la nôtre. Dans son livre Une nouvelle conscience pour une monde en crise. Vers une civilisation de l’empathie, Jérémy Rifkin estime que « contrairement à ʺsympathieʺ, qui est passif, ʺempathieʺ suggère l’engagement actif : la volonté de prendre part à l’expérience d’un autre, de partager son vécu » . L’empathie, ce « désir de se sentir relié à quelque chose de plus grand et de plus puissant que soi » , suggère le mystère d’une vie qui se livre et souligne ainsi l’importance de faire société ensemble, de partager parfois jusqu’aux limites de ce qui peut être dit, cette part ombragée de son existence demandant l’aide nécessaire pour accomplir un pas jusque-là trop solitaire.

La personne soignée n’est donc pas une personne entièrement à part, loin de nos préoccupations ou de nos rêves. Elle est ce qui compose notre quotidien à travers lequel se lit la volonté d’engager une marche commune, rendant compte d’une présence attentive au chevet de ceux qui vivent l’épreuve et qui se découvrent comme des étrangers. Pour autant, par la capacité que nous avons à garder le lien, à le conforter, on rappelle alors que la personne soignée n’est pas une île, seule et abandonnée, mais toujours partie prenante d’un réseau de relations prêt à s’asseoir et accueillir ce qu’elle voudra bien nous confier, à travers des bribes de mots ou par des messages clairs. C’est là, je le crois, un partage nécessaire d’humain à humain où palpite toujours quelque chose de Dieu lui-même. N’est-ce pas, en substance, signe d’un amour-charité où se réalise l’exigence d’un don de soi ? Occasion offerte au cours de laquelle résonne alors ce verset de l’évangile de Marc qui, au-delà de renvoyer à la rencontre avec le jeune homme riche, dit quelque chose de chacune de ces rencontres où la confidence se lie à l’écoute : « Posant alors son regard, Jésus se mit à l’aimer » (Mc 10, 21).

Avec ce texte, une fraternité a proposé :

Évangile selon St Marc, chapitre 9, 14-29

Jésus, Pierre, Jacques et Jean, en rejoignant les autres disciples, virent une grande foule qui les entourait, et des scribes qui discutaient avec eux. Aussitôt qu’elle vit Jésus, toute la foule fut stupéfaite, et les gens accouraient pour le saluer. Il leur demanda : « De quoi discutez-vous avec eux ? » Un homme dans la foule lui répondit : « Maître, je t’ai amené mon fils, il est possédé par un esprit qui le rend muet ; cet esprit s’empare de lui n’importe où, il le jette par terre, l’enfant écume, grince des dents et devient tout raide. J’ai demandé à tes disciples d’expulser cet esprit, mais ils n’ont pas réussi. » Jésus leur dit : « Génération incroyante, combien de temps devrai-je rester auprès de vous ? Combien de temps devrai-je vous supporter ? Amenez-le auprès de moi. » On l’amena auprès de lui. Dès qu’il vit Jésus, l’esprit secoua violemment l’enfant ; celui-ci tomba, il se roulait par terre en écumant. Jésus interrogea le père : « Combien y a-t-il de temps que cela lui arrive ? » Il répondit : « Depuis sa petite enfance. Et souvent il l’a même jeté dans le feu ou dans l’eau pour le faire périr. Mais si tu y peux quelque chose, viens à notre secours, par pitié pour nous ! » Jésus reprit : « Pourquoi dire : ’Si tu peux’... ? Tout est possible en faveur de celui qui croit. » Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon incroyance ! » Jésus, voyant que la foule s’attroupait, interpella vivement l’esprit mauvais : « Esprit qui rends muet et sourd, je te l’ordonne, sors de cet enfant et n’y rentre plus jamais ! » L’esprit poussa des cris, secoua violemment l’enfant et sortit. L’enfant devint comme un cadavre, de sorte que tout le monde disait : « Il est mort. » Mais Jésus, lui saisissant la main, le releva, et il se mit debout. Quand Jésus fut rentré à la maison, seul avec ses disciples, ils l’interrogeaient en particulier : « Pourquoi est-ce que nous, nous n’avons pas pu l’expulser ? » Jésus leur répondit : « Rien ne peut faire sortir cette espèce-là, sauf la prière. »

Questions

  • Toute personne a une histoire : parmi les bases de l’évaluation médicale, l’histoire de la maladie (et donc implicitement du malade) est fondamentale. Face à une médecine devenue très technique, cette approche reste-t-elle au centre de l’examen médical ?
  • « Accompagner ce n’est pas réagir, c’est ajuster » : s’ajuster à une personne implique de se mettre à son niveau, de prendre en compte la totalité de son histoire, expliquer, prendre du temps… Est-ce la réalité de notre pratique quotidienne ?
  • L’empathie : un élément essentiel dans la relation de soin, oui, mais quelle distance « juste » doit-on garder ?
  • « Être compatissant comme le Père est compatissant » : quelle résonance dans notre vie de chrétien ? N’est-ce pas avant tout le lien qui s’inscrit entre les différents intervenants et la personne soignée, la solidarité, la reconnaissance du malade en tant que personne ?

De Sébastien Klam, prêtre de Metz

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