Fin de vie

"J’aurai dû me douter" que cela recommencerait. Puisque je le pressentais, j’aurais pu anticiper pour ne pas être prise de court encore une fois. Pourquoi n’ai-je pas au moins laissé les boites à portée de main ? Je crie pendant que je cherche dans le tiroir, tout au fond « J’arrive Thaïs. Ne t’inquiète pas, j’arrive tout de suite. »

Fin de vie

"J’aurai dû me douter" que cela recommencerait. Puisque je le pressentais, j’aurais pu anticiper pour ne pas être prise de court encore une fois. Pourquoi n’ai-je pas au moins laissé les boites à portée de main ? Je crie pendant que je cherche dans le tiroir, tout au fond « J’arrive Thaïs. Ne t’inquiète pas, j’arrive tout de suite. »

Dans la chambre à. côté, l’appel de Thaïs s’est transformé en une plainte continue. Je trouve enfin l’objet de mes recherches. La boite est encore scellée. Je m’en saisis et la SCITC dans mes mains tremblantes. Je cours presque pour traverser le couloir et revenir au plus vite au chevet de ma fille.

Je ne saurais dire depuis combien de minutes la crise a commencé. Deux, cinq, dix ? Je ne peux les compter ; il me semble que cela fait une éternité. J’ai perdu la notion du temps, Comme si ta douleur dilatait les secondes. Je me dépêche. Je peste contre la boîte qui me résiste, retire avec frénésie une plaquette, sors un comprimé. Et le donne enfin à nais, Je prie pour qu’il fasse effet au plus vite et libère ma petite princesse de ses intolérables souffrances.

Je reste à ses côtés, serrant fort ses mains. Je tente de l’apaiser avec des mots qui ne me convainquent pas moi-même, « Courage Thaïs. C’est bientôt fini, Ça y est, je t’ai donné le médicament. Allez ma tonte belle, allez. Courage Je suis là. Tout va bien se passer. » Ses cris reprennent de plus belle. Mon cœur se vrille.

Je sens monter en moi une boule, depuis l’estomac jusqu’à la gorge, mon dos se couvre d’une sueur glacée, mon cerveau perd le fil. C’est inhumain de souffrir de la sorte ! Inhumain ! Personne ne devrait jamais connaitre ça, encore moins une petite fille de deux ans et demi. Je ne supporte plus de voir Thaïs endurer de telles souffrances, si violentes qu’elles ne sont pas quantifiables sur l’échelle de la douleur. Les médicaments administrés vont la soulager, mais leur temps de latence est trop long. Je n’en peux plus. ll faut que cela cesse. Mon regard se pose sur la boite de comprimés et, avant même de réfléchir, je m’entends dire à Thaïs d’une voix sans voix : « Ma chérie, je vois bien à quel point tu souffres ; c’est un cauchemar. Si tu veux que ça s’arrête, dis-le-moi. Je ferai tout ce qu’il faut pour te soulager, tout. Même si cela doit être définitif » Oui, à cet instant, je suis prête à tout. Tout plutôt que de la laisser souffrir. Je n’attends plus qu’un signe de se part, un geste, un mot. Mais Thaïs se tait.

Aucun son ne sort de sa bouche, pas un bruit. Elle me regarde, le visage congestionné par le cri qu’elle retient entre ses dents serrées. Dans un silence de mort, elle me fixe. Elle invite mon regard à se plonger dans le sien. Et ne le lâche plus. Ses yeux, fenêtre, de son âme parlent aux miens. « Maman, ça va. J’ai mal, mais je sais que ça va passer Tu as fait tout ce qu’il fallait pour ça. Mon cri n’exprime que de la douleur, pas du désespoir. Mais si tu ne le supportes pas, si c’est trop difficile pour toi de me voir comme ça. Je vais me taire. Je vais te protéger Maman, pour ne pas que tu souffres. » Voilà tout ce que je lis dans ses grands yeux si sereins en cet instant, alors que les miens ne se défont pas de leur tourmente.

Je me recroqueville contre elle et pleure tout mon saoul. Ça n’est pas à Thaïs de veiller à me préserver de la peine, de taire sa douleur pour épargner la mienne. Elle a le droit d’exprimer ce qu’elle ressent sans craindre de me blesser. Tout contre elle, je comprends tout à coup ce qui me fait si mal dans ces moments-là : c’est mon impuissance à la soulager. Ce sentiment d’incapacité face à sa douleur est intolérable. Il me pousse à envisager une solution extrême, parce que je me dis intérieurement : « Je peux au moins faire ça pour elle. »

Je pose ma tête contre sa poitrine, et je lui parle doucement. « Pardon Thaïs, pardon pour ce que je t’ai dit. Ne vas surtout pas croire que je ne te supporte plus ma princesse chérie, c’est ta douleur qui m’est insoutenable. » Et je sanglote comme une petite fille en ajoutant : « Je voudrais tant te soulager quand tu souffres, mais je ne sais pas quoi faire. Je suis ta maman pourtant, et je ne sais pas quoi faire. Je te donne les médicaments, je demande à ce qu’on réajuste les traitements, mais j’ai le sentiment que cela ne suffit pas. Je vois que tu as encore mal et cela me désespère. Thaïs, qu’est-ce que je peux faire pour t’aider ? » Elle ne formule aucune réponse, mais j’entends les battements de son cœur cogner plus fort, juste sous mon oreille. Comme s’ils voulaient attirer mon attention, comme s’ils voulaient me dire quelque chose. Mon cœur plonge alors dans le sien pour trouver la réponse. En un instant, tout devient limpide et clair. C’est une évidence.

Dans ses battements réguliers j’entends : « Maman, aime-moi. C’est tout ce que je te demande. Je n’ai besoin que de ça. » Rien de plus, elle n’attend de moi rien de plus. Comment n’ai-je pas compris plus tôt ? Les soins prodigués guérissent les plaies, mais c’est l’amour qui permet d’oublier la douleur, c’est la consolation qui soulage les peines. Merci ma petite !

Thaïs, merci d’avoir changé mon cœur en lui permettant de réaliser que la réponse à la souffrance, ce n’est pas la mort ; ça ne le sera jamais. La réponse à la souffrance, c’est l’amour.

En même temps que ma conscience s’éclaire, le sentiment d’impuissance qui me hantait jusque-là me quitte. Je ne suis pas démunie face à la douleur de Thaïs. Et je ne le serai jamais. Je pourrai toujours l’aimer et l’aimer toujours plus. Mon esprit entrevoit alors de nouveaux horizons, mon cœur se libère. Aux douleurs inhumaines de Thaïs, j’oppose désormais un autour sans barrière, sans réticence, sans limites.

D’Anne-Dauphine Julliand, Extrait du livre « Une journée particulière »

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