Autonomie, dépendances, interdépendances

Ce texte est extrait du livre « dire la maladie et le handicap » de Marie-Hélène Boucand. L’auteur, médecin, praticien hospitalier, ancien chef de service de médecine physique et réadaptation ; atteinte par une maladie génétique, dite « orpheline », elle a dû stopper son activité professionnelle. Cette double facette de sa vie donne à son livre une rare qualité d’évocation et de résonnances humaines

Autonomie, dépendances, interdépendances

L’autonomie vue par les soignants

J’avais travaillé l’acquisition de l’autonomie et la lutte contre la dépendance à propos des objectifs fixés par les équipes de soins et les patients blessés médullaires qui devaient apprendre à se prendre en charge pour les soins de base. Ils apprenaient à gérer leur handicap avec le soutien des consignes pluriquotidiennes des soignants, leur indiquant la bonne manière de faire. Nous évoquions l’acquisition de l’autonomie dans la vie quotidienne. Alors qu’il s’agit plus justement de l’acquisition de leur indépendance. De façon très usuelle, il est étonnant de constater l’utilisation, sans distinction, des termes d’« autonomie » ou d’« indépendance », comme s’il était question du même enjeu.

Autonomie et indépendance

Quelques apports sémantiques peuvent venir éclairer l’usage des termes et la confusion entretenue entre « autonomie » et « indépendance ». L’autonomie (ou autodétermination) serait la capacité physique ou/et psychique de se gouverner par soi-même ou de se référer à ses propres lois (étymologie du mot : auto-noms), sa volonté, ses besoins. L’autonomie s’articule avec la possibilité et la liberté de faire des choix et de les assumer. Cela ne veut, malgré tout, pas dire faire n’importe quoi, sans lien avec le monde qui nous entoure. Ce serait alors l’autarcie, la déviation sectaire ou totalitaire. La dépendance serait, elle, dans son sens le plus commun, la conséquence d’une incapacité à faire tout seul les principaux actes de la vie quotidienne, critères à partir desquels sont attribuées les aides à l’autonomie dont les personnes ont besoin. Il n’est pas sans intérêt de noter que dans l’appellation des allocations publiques, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) pour les personnes âgées dépendantes a remplacé l’allocation spécifique dépendance Ce changement est significatif du glissement sémantique entre le champ de la dépendance et celui de l’autonomie.

Les deux notions sont donc souvent associées ou confondues : il est dépendant, il a donc perdu son autonomie. La proximité des personnes handicapées physiques nous prouve le contraire. Quelqu’un peut être totalement dépendant pour l’ensemble de ses activités quotidiennes et totalement autonome pour la gestion de sa vie. À l’opposé, quelqu’un porteur d’un handicap psychique peut être indépendant dans sa vie quotidienne mais incapable de gérer son argent, son projet de vie. Il n’est pas autonome. Dans la pratique des évaluations, on dit : « Il est autonome dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne » alors, qu’en fait, on devrait dire : « Il est indépendant pour l’ensemble des actes de la vie quotidienne. » Lune et l’autre notions sont dans des registres différents : l’autonomie serait davantage du registre individuel et personnel. La dépendance serait, de façon caricaturale, plus liée à l’environnement ou à la situation. Il est classique d’évoquer la personne en fauteuil roulant et le cardiaque qui font une course à pied : celui qui sera le plus performant et le moins dépendant est celui qui est en fauteuil. Inversement, il est totalement dépendant d’un tiers devant deux marches d’escalier. Le handicap est situationnel.

La personne handicapée sujet de son autonomie

Cette position éloigne de l’habitude ainsi que du protocole appliqué sans distinction à tous les patients parce qu’ils ont une lésion médullaire de niveau x ou y. Ce n’est plus le niveau seul de la lésion qui importe. Il reste fondamental. Ce qui est en jeu, ici, sont la responsabilité informée et la capacité de décision du patient. Le débat est alors déplacé sur l’espace de liberté ouvert tandis que le patient est enfermé par les limites que lui impose la survenue de son handicap. Prendre soin de lui, c’est le soutenir pour qu’il réinvestisse son histoire, ses liens affectifs, son entourage et qu’il puisse ainsi se reconnaître et être sûr d’être reconnu digne et respectable. Lui donner la possibilité de gérer, s’il le souhaite, sa prévention et ses soins peut lui permettre d’élaborer un projet de vie, articulant son inscription dans le présent et l’avenir.

Cela interpelle notre capacité de soignant à partager nos connaissances et à accepter que l’autonomie du blessé passe par celle de la détention d’un savoir, qu’il se sera approprié, à sa façon, différemment. Cela s’affronte, parfois, à la limite du blessé qui ne peut assumer seul une décision. Mais ce n’est que l’information partagée qui peut permettre cet espace de parole constitutive d’une confiance réciproque, une confiance en mouvement. Le soin doit venir soutenir cette démarche. L’expérience — bonne ou mauvaise — sera l’occasion d’apprentissage, donc de croissance. Elle peut être aussi le lieu d’épuisement et de découragement de certains soignants devant l’énergie nécessaire pour le traitement d’escarres qui auraient pu être évitées par une bonne prévention. Mais en fait, si la prévention n’est pas réalisée par le patient, on sait bien aussi que c’est parce qu’il n’est pas prêt à investir les mesures de prévention exigées par les soignants. Pour les effectuer, il lui faut les choisir et non les subir. Sommes-nous tous prêts à ce partage-là ?

Ces interrogations viennent questionner nos pratiques de soins. Dans le langage sociologique et humaniste, nous sommes passés avec insistance de la personne « objet de soins » à la personne « sujet de soins ». Reconnaissance de l’autre comme sujet à part entière, porteur lors de sa maladie de son histoire personnelle, familiale, sociale, psychologique, consciente et inconsciente. Considérer le patient comme sujet est le préalable indispensable pour accéder à la notion du patient devenu partenaire des soins, acteur de son projet de réadaptation. C’est le reconnaître fondamentalement comme sujet de sa vie. Il est « lui-même », avant d’être « paraplégique » ou « trauma crânien ». S’il ne se perçoit que comme « handicapé », il n’y a plus de place pour lui comme « sujet ». Or il n’est pas que son handicap : il « est » bien au-delà. La sidération qui existe à la survenue de l’accident peut venir suspendre le sens de la vie de la personne. Ses repères, comme son corps, ont été traumatisés. Le soin peut venir soutenir Cette recherche du sens que seule la personne touchée peut découvrir et donner. C’est un vrai travail d’engendrement. Il lui faut du temps pour avancer et se situer dans les conditions nouvelles de ce qu’elle est devenue. Il lui faut plus de temps que le temps institutionnel de séjour de plus en plus court en centre de rééducation. Il lui faut donc trouver des étayages en dehors de l’institution.

Dépendances ou interdépendances ?

Ces dépendances physiques ou psychologiques sont vécues au quotidien par nombre de personnes handicapées, mais également par nombre d’autres qui se disent valides et qui veulent les ignorer (ou les refouler). Quel luxe de faire l’impasse sur notre position d’humains dépendants les uns des autres ! On oublie trop vite que la dépendance est une situation profondément ontologique parce que nous sommes des humains, vivants et nés de l’alliance d’un homme et d’une femme dont nous avons reçu la vie. Nous nous sommes reçus d’eux. Nous avons été structurés par le langage, les relations, les liens tissés et reçus avec d’autres que nous. Nous avons besoin des autres. La condition humaine est fondamentalement précaire et fragile. La dépendance parfois si difficile à vivre pour les personnes handicapées exprime quelque chose de cette situation pour chacun de nous. Elles n’ont pas le choix de ne pas demander, de ne pas faire appel, de ne pas avoir besoin de quelqu’un. Reconnaître nos situations réciproques de dépendance, universelles, nous situe dans la question du lien social, des relations humaines et de la solidarité’. Que veux-tu que je fasse pour toi ? La dépendance des personnes handicapées doit nous interroger, nous, personnes dites valides. Quel lien social en humanité est ainsi sollicité sinon celui de l’interdépendance, c’est-à-dire celui de la solidarité ou, sous un autre mot, celui de la fraternité (terme moins usité car trop connoté du sens communautaire religieux), mais terme figurant dans notre Constitution et sur le fronton de toutes nos institutions publiques ? Nous avons tous besoin des autres pour vivre et pour vivre bien dans nos reconnaissances et nos complémentarités réciproques. La dépendance vient nous parler du manque qui nous constitue et qui nous met en situation d’interdépendance les uns des autres pour demander, donner et recevoir. Le manque nous fait toucher notre incomplétude, notre besoin d’être, d’exister les uns pour les autres. La demande, l’expression de notre désir nécessitent l’humilité et la simplicité de l’expression adressée à un autre. Cet autre qui doit être suffisamment attentif pour demander : « Que veux-tu que je fasse pour roi ? Sans anticiper la réponse. L’attention est cette capacité d’être en tension vers l’autre.

De Marie-Hélène Boucand, Extrait du livre « Dire la maladie et le handicap »

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