L’Alimentation et l’Hydratation Artificielles (AHA) en fin de vie

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La question d’administrer artificiellement une alimentation et de l’eau se pose souvent en pratique médicale, dans différentes situations en fin de vie : malade cancéreux en phase terminale ou personne très âgée en EHPAD qui n’a plus la force de s’alimenter, malade qui fait des fausses routes et risque d’inhaler des liquides ou des aliments dans ses poumons, malade dans le coma ou présentant des troubles de la conscience, etc. La question est la suivante : quand il n’est plus possible à ces malades de s’alimenter ou d’être alimentés par la bouche, faut-il leur poser une sonde gastrique afin, dit-on, qu’ils ne meurent pas, de façon horrible, de faim et de soif ? Pour faire un discernement éthique et répondre à cette question complexe, il convient d’être précis sur les techniques et sur les situations. Nous pourrons ensuite nous demander quels sont les moyens en matière d’alimentation et d’hydratation qui correspondent à un souci raisonnable de la vie, et inversement, les moyens qui feraient peser un fardeau trop lourd sur le malade et/ou sa famille.

1. TECHNIQUES ET INDICATIONS MÉDICALES DE L’AHA

L’expression «alimentation artificielle» est ambiguë parce que ce n’est pas l’alimentation qui est artificielle, mais la voie d’apport de la nourriture qui passe par un moyen technique. La médecine dispose aujourd’hui de différents moyens techniques pour assurer les besoins en aliments et en liquides des personnes qui sont devenues incapables de les satisfaire par elles-mêmes par voie orale. Ces moyens peuvent recourir à trois voies voie digestive, une sonde gastrique passant par le nez et l’œsophage (sonde naso-gastrique) ou directement dans l’estomac par une petite ouverture pratiquée dans la paroi abdominale (sonde de gastrotomie) ; voie sous-cutanée; voie intraveineuse, en particulier par cathéter veineux central permanent. Dans les trois cas, il s’agit d’une technique invasive qui représente une intrusion dans le corps du malade, nécessitant son consentement et ne pouvant être mise en place que dans un cadre médical.
Est-on tenu, dans les différentes situations médicales de fin de vie évoquées plus haut, d’administrer des aliments par un tel moyen technique ? Que faire si le malade refuse ou s’il est incapable d’exprimer sa volonté ? La question de l’ARA se pose aussi dans les états végétatifs persistants (EVP), consécutifs à une anoxie cérébrale ou à un gros traumatisme crânien, et qui se sont installés chez ces patients suite à la mise en œuvre d’une réanimation. Ces patients ne manifestent aucun signe témoignant qu’ils aient conscience de leur état et de ce qui se passe autour d’eux ; ils sont dans un état stable, n’évoluant pas de soi vers la mort. Cette situation d’EVP est associée à la présence de cycles veille-sommeil. Le patient respire seul, ruais il ne peut ni manger, ni mastiquer ni avaler ; toutefois, il garde le réflexe d’avaler sa salive. L’état végétatif peut être transitoire, mais malheureusement il peut devenir permanent et, avec l’administration d’une AHA, durer plusieurs années jusqu’au décès.

2. DES QUESTIONS COMPLEXES

Pour essayer d’y voir plus clair, rappelons d’abord qu’il existe différentes catégories de soins : les soins de base (nutrition, hygiène, nursing), les soins de confort (antalgie, anxiolyse, voire sédation) et les traitements (thérapeutiques médicales actives). Comme nous l’avons vu précédemment, le devoir de se soigner n’implique pas le recours à des moyens thérapeutiques inutiles, disproportionnés ou imposant une charge que (le malade) jugerait extrême pour lui-même ou pour autrui. Mais après l’arrêt ou la limitation de tels « moyens thérapeutiques », les soins de base et les soins de confort sont toujours à poursuivre.
La question suivante se pose donc l’apport d’eau et de nutriments par des voies artificielles relève-t-il des soins de base ou d’un traitement médical ? S’il s’agit d’un soin de base, il ne peut pas être arrêté puisqu’il est dû à tout un chacun ; son arrêt relèverait d’un acte euthanasique. S’il s’agit d’un traitement médical, il faudra discerner si ce traitement est adapté à la situation du malade: s’agit-il de passer un cap aigu ? Ou d’alimenter jusqu’au bout une personne en fin de vie qui va bientôt s’éteindre ? Qu’est-ce qui est dû à un patient en EVP, dans un état stable, incapable d’exprimer sa volonté ?
L’arrêt d’une AHA est-il la transgression d’un interdit, ou un geste raisonnable parce qu’on a discerné que cette AHA était un traitement disproportionné par rapport à la situation du malade ?
Les enjeux de cette question sont multiples éthiques, économiques, sociaux. Sur le plan économique, l’AHA suppose un système de protection sociale performant ; l’enjeu est celui de la répartition équitable des ressources financières et en personnel soignant en vue du bien commun. Sur le plan humain, certaines prolongations de la vie qui dépendent seulement de l’AHA paraissent absurdes ; mais l’imaginaire social considère qu’arrêter une AHA revient à laisser mourir le malade de faim et de soif.

3.  L’AHA SELON LA LOI FRANÇAISE

Selon l’exposé des motifs de la loi Léonetti de 2005 ; l’AHA est un traitement médical ; la loi Claeys-Léonetti de 2015 ajouterait dans le Code de la santé publique cette précision : «La nutrition et l’hydratation artificielles constituent un traitement.» (art. LI I 10-5-1). Par conséquent, lorsque l’AHA apparaît « inutile, disproportionnée» ou n’ayant «d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie», elle peut être arrêtée ou ne pas être entreprise.
La loi permet donc d’envisager l’arrêt d’une AHA chez une personne en EVP Un tel arrêt est, toujours selon la proposition de loi, suivi d’une sédation «provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès. » Mais il faut s’interroger, en situation, sur l’intentionnalité d’un tel arrêt d’une AHA chez une personne en EVP : s’agit-il ou non d’un geste euthanasique ?
Si un malade refuse une AHA, «le professionnel de santé a l’obligation de respecter [sa) volonté après l’avoir informé des conséquences de ses choix et de leur gravité. »

4. L’AHA ET L’ENSEIGNEMENT DU MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

Si on reconnaît que l’AHA est un traitement, qui ne peut d’ailleurs être mis en place qu’avec le consentement du malade ou de son entourage, et en milieu médical, la réflexion morale peut se référer à l’usage proportionné des moyens thérapeutiques. Cette position, qui est celle de Pie XII en 1957, reprise par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 1980 et par la Déclaration du Conseil Permanent des Évêques de France en 1991, est résumée au n° 2278 du Catéchisme de l’Église catholique (1992): «La cessation des procédures médicales onéreuses, périlleuses, extraordinaires ou disproportionnées avec les résultats attendus peut être légitime. C’est le refus de l’acharnement thérapeutique. On ne veut pas ainsi donner la mort ; on accepte de ne pas pouvoir l’empêcher. Les décisions doivent être prises par le patient, s’il en a la compétence et la capacité, ou sinon par les ayants-droits légaux, en respectant toujours la volonté raisonnable et les intérêts légitimes du patient.» Mais cet enseignement concerne les traitements au sens large, en fin de vie, sans envisager spécifiquement ni l’AHA, ni les patients atteints d’EVP.
En 2007, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi s’est saisie de deux questions « concernant l’alimentation et l’hydratation artificielles» chez les personnes en état végétatif. Voici la première question et sa réponse :

« Première question : L’administration de nourriture et d’eau (par des voies naturelles ou artificielles) au patient en « état végétatif », à moins que ces aliments ne puissent pas être assimilés par le corps du patient ou qu’ils ne puissent pas lui être administrés sans causer-une privation grave sur le plan physique, est-elle obligatoire ?
Réponse : Oui. L’administration de nourriture et d’eau, même par des voies artificielles, est en règle générale un moyen ordinaire et proportionné de maintien de la vie. Elle est donc obligatoire dans la mesure et jusqu’au moment où elle montre qu’elle atteint sa finalité propre, qui consiste à hydrater et à nourrir le patient. On évite de la sorte les souffrances et la mort dues à l’inanition et la déshydratation. »

La formulation de la question ainsi que la réponse sont très intéressantes : la réflexion éthique recourt au discernement du caractère proportionné ou non de l’AHA en fonction des circonstances qui sont bien précisées: la nourriture et l’eau doivent être administrées si ces éléments sont assimilés par le corps, s’ils ne causent pas de privation grave sur le plan physique et si cette administration atteint sa finalité. Sinon, l’administration de nourriture et d’eau est un moyen disproportionné de maintien de la vie. La réponse n’entre pas dans la discussion de savoir si AHA est un soin de base ou un traitement, mais demande que cette technique soit adaptée au patient.

«Seconde question : Peut-on interrompre la nourriture et l’hydratation fournies par voies artificielles à un patient en « état végétatif permanent », lorsque des médecins compétents jugent avec la certitude morale que le patient ne reprendra jamais conscience?
Réponse : Non. Un patient en «état végétatif permanent» est une personne, avec sa dignité humaine fondamentale, à laquelle on doit donc procurer les soins ordinaires et proportionnés, qui comprennent, en règle générale, l’administration d’eau et de nourriture, même par voies artificielles.»

Cette seconde question concerne les patients dont l’état végétatif a été déclaré permanent par des médecins compétents. Le point capital de la réponse est la reconnaissance que le patient en «état végétatif permanent» reste une personne avec toute sa dignité. Dans le contexte actuel marqué par des tentations eugénistes et utilitaristes, il existe un risque de dérive consistant en l’arrêt systématique de l’AHA pour des malades en EVP, avec l’intention de provoquer leur mort, ce qui est un acte euthanasique. À partir de là, une autre dérive pourrait émerger: l’arrêt de l’AHA pour des personnes polyhandicapées, enfants ou adultes, qui ne sont pas en fin de vie mais qui sont incapables d’absorber de la nourriture par voie orale. Or, à une personne on doit «des soins ordinaires et proportionnés », ce qui sous-entend de faire un discernement éthique en prenant en considération la situation de ce patient, dans sa complexité et sa singularité, pour appliquer le principe de proportionnalité. Le plus souvent, «en règle générale», l’administration d’eau et de nourriture est requise pour un patient en EVP.

5. L’AHA EST UN ACTE REQUERANT UN DISCERNEMENT ÉTHIQUE POUR RESPECTER LA PERSONNE JUSQU’AU BOUT

a. La qualification de l’AHA comme acte médical

L’AHA n’est pas l’équivalent d’une alimentation par les voies naturelles. La nutrition et l’hydratation par des voies artificielles constituent un acte médical impliquant le recours à des moyens techniques invasifs. Cet acte médical a des indications précises ; il nécessite une surveillance, une adaptation et, éventuellement, il peut être arrêté s’il peut porter préjudice au malade. En effet, toute AHA en fin de vie n’est ni bonne ni utile elle doit être médicalement justifiée pour ce malade. Elle requiert : le consentement du patient ou des personnes habilitées selon les procédures données par la loi civile. Le recours à cette technique doit être apprécié selon les circonstances, dans une évaluation au cas par cas, prenant en considération la singularité de ce patient et de sa famille, le bien commun en lien avec un diagnostic médical le plus précis possible et les résultats escomptés. Par conséquent, dans chaque cas, il faut s’interroger sur les raisons de mettre en route une AHA et sur les raisons de s’en abstenir ou de l’interrompre.
Dans certains cas, I’AHA peut aider un patient à passer un cap aigu. Dans d’autres cas, en fin de vie, elle peut être disproportionnée, prolonger inutilement une agonie, être néfaste en aggravant une insuffisance cardiaque ou une insuffisance respiratoire, être source d’inconfort digestif avec nausées et vomissements. Enfin, il faut respecter la volonté d’une personne qui refuse d’être nourrie artificiellement: une alimentation forcée serait lui faire violence et relèverait de la maltraitance. Le refus de l’AHA signifie que la personne se laisse mourir et: ne demande pas à autrui qu’il ait l’intention de lui donner la mort.

Pour une personne en EVP qui, par définition, n’est pas en fin de vie, on doit considérer qu’il s’agit d’un acte médical proportionné pour le maintien de sa vie. Il en est de même pour les enfants et les adultes lourdement handicapés qui ne sont pas en fin de vie et qui n’ont pas la capacité de s’alimenter. Toutefois, comme nous l’avons vu précédemment, la vocation de la médecine n’est pas de chercher à lutter pour maintenir la vie dans une forme extrême. C’est pourquoi quand survient une complication grave chez un patient en EVP, par exemple une septicémie, une embolie pulmonaire, une insuffisance rénale, il faudra se montrer prudent dans l’emploi de traitements à visée curative et dans la mise en œuvre de soins intensifs. Et c’est surtout en amont, au moment de la réanimation initiale, qu’il faut éviter l’obstination déraisonnable.

b. La faim et la soif en fin de vie

Pour l’imaginaire social, arrêter une AHA revient à laisser mourir la personne de faim et de soif. Beaucoup de familles supportent très mal qu’un malade ne soit pas nourri artificiellement quand il ne peut plus manger. Et il est vrai que donner à manger et à boire est une tradition immémoriale non seulement de charité mais même de justice. Toutefois, on ne meurt jamais de faim et de soif puisque la faim et la soif sont des sensations. Par contre, on peut mourir de dénutrition et de déshydratation. Mais la dénutrition et la déshydratation ne s’accompagnent pas nécessairement de sensations de faim et de soif. Il faut rappeler cette notion d’expérience commune : dans les situations de fin de vie, les patients n’ont plus la sensation de faim. Ils n’éprouvent ni besoin, ni plaisir de manger et l’anorexie est un des signes majeurs de la proximité de la mort. Le malade ne mourra donc pas de faim mais de l’évolution de sa maladie. La question de l’hydratation peut parfois se poser car certains malades ressentent la soif. On peut y remédier par des moyens simples : soins de bouche répétés, pulvérisation d’eau, voire, si le personnel soignant est en nombre insuffisant pour ces soins répétés, une hydratation par voie sous-cutanée.
L’arrêt de cet acte médical qu’est l’AHA ne signifie pas l’abandon du malade. Son confort doit être préservé par la mise en œuvre de soins palliatifs, avec, en particulier si nécessaire, un traitement antalgique et anxiolytique.

Extrait de « Repères chrétiens en bioéthique », pages 456-463 

de Françoise Niessen et Olivier de Dinechin

Françoise Niessen : laïque consacrée et médecin enseigne aux futures prêtres la théologie morale fondamentale et la bioéthique au séminaire d’Issy-les Moulineaux (Hauts-de-Seine) et la bioéthique au séminaire de Nantes.
Olivier de Dinechin : jésuite, a été délégué de l’Episcopat français pour les questions morales concernant la vie humaine et membre du Comité consultatif national d’éthique au titre de l’Eglise catholique.

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