La personne soignée : une personne qui vit

Cette étoile, nous l’avons vu, peut être cachée bien des fois par ce que les épreuves apportent. Il serait trop facile de le nier.

La personne soignée : une personne qui vit

Cette étoile, nous l’avons vu, peut être cachée bien des fois par ce que les épreuves apportent. Il serait trop facile de le nier. Les Anciens disaient, en faisant leur cet adage latin « Media in vita in morte sumus », « en pleine vie nous sommes déjà engagés dans la mort ». Cette mort peut prendre différents visages dans l’épreuve, nous le savons bien, et cacher ne serait-ce que cette infime étincelle de vie pourtant toujours présente ! Dans la nuit de ce monde, au cœur de la souffrance incommensurable des camps de concentration, Etty Hillesum écrivait dans son Journal du 15 juin 1941 : « J’ai essayé de regarder au fond des yeux la souffrance de l’humanité, je me suis expliqué avec elle, ou plutôt : ʺquelque choseʺ en moi s’est expliqué avec elle, nombre d’interrogations désespérées ont reçu des réponses, la grande absurdité a fait place à un peu d’ordre et de cohérence, et me voilà capable de continuer mon chemin. Une bataille de plus, brève mais violente, dont je suis sortie dotée d’un infime supplément de maturité ». [1]

Dans la continuité du point développé précédemment, j’entends alors ce verset du Deutéronome qui n’est pas anodin dans notre réflexion : « Vois, je mets aujourd’hui devant toi la vie et le bien, la mort et le mal… Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta postérité » (Dt 30, 15.19). Ce qui est intéressant dans ce verset, c’est – comme le rappelle Paul Tournier – que « la perspective biblique fait toujours appel à la libre décision de l’homme, à son adhésion intérieure qui le rend majeur. Les ʺtu doisʺ de la Bible sont précédés d’un grand ʺsiʺ sous-entendu : ʺSi tu choisis la vie, alors tu dois…ʺ » [2] . Il y a là, d’un autre côté, comme cette mise en perspective d’une capacité de résilience, d’empowerment, c’est-à-dire cette capacité de rebondir, d’« empuissancement » signe que la personne soignée reste encore actrice de son présent et de son devenir. Pour y aboutir, il convient de reconnaître que les principes éthiques de non-abandon et de non-indifférence consistent dans l’accompagnement à favoriser la vie de la personne soignée, quand bien même celle-ci se délite, disparaisse sous le voile de l’épreuve.

Une fois encore, lorsque Jésus rencontre des femmes et des hommes, il oblige les uns et les autres à découvrir que la puissance de vie ne les quitte jamais quand bien même ils soient accaparés par les douleurs de l’existence, voire même par la mort qui a déjà fait son œuvre. Lorsque Jésus prononce ce mot « Ephata », c’est-à-dire « Ouvre-toi » en guérissant le sourd-muet (Mc 7, 31-37), il rend compte que la force de vie vient du dedans de cet homme. L’ouverture renvoie certes au miracle qui fait que les yeux voient et les oreilles entendent, mais aussi que la puissance de vie propre à cet homme est appelée à rejaillir, à naître de lui, à sortir de lui. Si l’homme est ainsi considéré comme le tabernacle de la présence mystérieuse de Dieu en son humanité, on comprend alors que même la mort ne peut le garder captif. Pour s’en rendre compte une fois de plus, il faudrait relire ce que la tradition appelle « la résurrection de Lazare » qui, plus qu’une résurrection serait davantage une réanimation si l’on considère que la résurrection n’interviendra qu’une fois (Jn 11, 1-43). Dieu n’agit pas ici comme un magicien qui rendrait la vie à quelqu’un, mais comme cette aide complice d’une vie qui ne demande qu’à s’exprimer. D’ailleurs, « Lazare » ne signifie-t-il pas « Dieu a aidé » (El-azar, en hébreu) ?

Il y a ainsi dans l’accompagnement, à valoriser toutes ces potentialités que renferme la personne soignée et qui demeurent encore, bien au-delà de tous ces maux qui l’accaparent. Cette capacité de résilience – après avoir fait le récit de son mal – peut ouvrir des potentialités d’action qui ne sont jamais de trop. C’est sans doute ici une qualité de présence à soi et aux autres à valoriser, bien plus qu’une quantité d’expériences. Boris Cyrulnik écrivait que « la résilience, c’est plus que résister, c’est aussi apprendre à vivre (…) L’épreuve, quand on l’a surmontée, change le goût du monde ». [3] Certes, l’épreuve – comme il le note – doit être surmontée, mais pour la surmonter, il faut l’accepter, la regarder en face, la dire avec toutes les difficultés que cela suppose, notamment quand l’épreuve dont il est question renvoie à la fin de la vie. Néanmoins, ce travail qui peut être accompli reste porteur de promesses pour le présent et l’à-venir.

Dans la mesure où cette puissance de vie cachée, niée ou reléguée dans je ne sais quel imaginaire existe, elle porte en elle cette étincelle capable de raviver la flamme, de redonner goût et saveur à cette existence hantée par les épreuves de la vie, voire la finitude. La personne soignée garde cette part nécessaire appelée à se révéler, se manifester. Emmanuel Lévinas dans Totalité et infini, parlait à propos du visage de l’homme de cette épiphanie, signe visible d’une vie encore possible : « Ce regard qui supplie et exige – qui ne peut supplier que parce qu’il exige – privé de tout parce que ayant droit à tout et qu’on reconnaît en donnant (…) ce regard est précisément l’épiphanie du visage comme visage ». [4] Il voit même, dans ce visage nu, vulnérable et pauvre, quelque chose de Dieu : « Autrui n’est pas l’incarnation de Dieu, mais précisément par son visage, où il est désincarné, la manifestation de la hauteur où Dieu se révèle ». Raison pour laquelle, il voit dans cette épiphanie, quelque chose de profondément humain appelant à vivre la relation et donc ce subtil échange où se vit une fraternité toujours renouvelée : « L’épiphanie du visage comme visage, ouvre l’humanité. Le visage dans sa nudité de visage me présente le dénuement du pauvre et de l’étranger ; mais cette pauvreté et cet exil qui en appellent à mes pouvoirs, me visent, ne se livrent pas à ces pouvoirs comme des données, restent expression de visage. Le pauvre, l’étranger, se présente comme égal. Son égalité dans cette pauvreté essentielle, consiste à se référer au tiers, ainsi présent à la rencontre et que, au sein de sa misère, Autrui sert déjà. Il se joint à moi » . Il y a quelque chose d’essentiel qui se vit alors et qui répond comme une nécessaire relation où l’un devient « otage » de l’autre, l’un invitant l’autre à faire croître en lui la puissance de vie qui, malgré la faiblesse et la précarité, demeure !

De Sébastien Klam, prêtre de Metz

[1] Etty HILLESUM, Journal, 15 juin 1941 in Gérard REMY, L’énigme du mal et l’espérance chrétienne, Paris, Médiaspaul, 2012.

[2] Paul TOURNIER, Bible et médecine, Paris, Delachaux & Niestlé, 19864, p. 216.

[3] Boris CYRULNIK, Un Merveilleux malheur, Paris, Odile Jacob, 2002, p. 185.

[4] Emmanuel LEVINAS, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Paris, Le livre de Poche, 200912, p. 73.

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