Suicide : de l’écoute à l’espérance

Déjà, en 1897, Durkheim (fondateur de la sociologie moderne) écrivait que le nombre important de suicides était directement lié à l’état de perturbation profonde dont souffre la société. Plus cet état est mauvais, plus le taux de suicide est élevé.
Le nombre de décès est en régression depuis les années 1990 passant de 12 000 à 10 500 pour l’année 2011. Quant à celui des tentatives de suicide, il reste important avec 176 000 à 200 000 prises en charge à l’hôpital.
La France se classe parmi les pays à plus forte mortalité par suicide après la Finlande, la Belgique et les pays de l’Est.
1ère cause de mortalité des 25/34 ans et 2ème chez les 15/24 ans. Plus l’âge augmente et plus le taux de mortalité croît, pour atteindre 28% chez les plus de 65 ans (chiffres : sante.gouv.fr).
Tous les milieux sont atteints et nous sommes tous concernés par ce problème.

Il est difficile de parler du suicide car il évoque des situations personnelles, familiales chargées de souffrances non-dites, de questions sans réponse, de deuils impossibles à faire.
Sur le plan social, le suicide exprime une anomie, un désordre, un état de désintégration des normes sociales.
D’autre part, le suicide nous place dans une situation paradoxale puisqu’il est l’expression de ce qui pourrait être l’acte de la liberté la plus élevée, l’expression absolue de la liberté de l’homme et dans le même temps, celui qui accomplit cet acte perd toute liberté.
On croit prendre la décision de mourir alors que l’on est dans l’impossible décision de vivre.
Autre paradoxe : le suicide est une tentative pour maîtriser la vie, ultime tentative de récupérer la vie en s’affirmant comme sujet. Combien de fois avons nous entendu des jeunes dire qu’ils voulaient se tuer mais pas mourir !

Avez-vous remarquer que lorsque l’on parle du suicide, on utilise un terme de la criminologie : « récidive » ou imprononçable : « TS ». Le mot « suicide » veut dire « se tuer » donc « se suicider » présente une absurdité de notre vocabulaire. La difficulté de la formulation est évidente. En prononçant ce mot, votre interlocuteur va immédiatement manifester une sorte de réticence et vous devrez prendre des précautions pour que l’effroi et la honte ne l’accablent pas, puisque vous ne connaissez pas l’histoire de la personne avec qui vous vous entretenez.

Au vu de l’article 342 du code de santé publique, le suicide peut presque sembler illicite : « peuvent être hospitalisées les personnes qui risquent de compromettre l’ordre public et la sûreté des personnes ».

La médicalisation, la psychiatrisation ne peuvent nous déresponsabiliser de la rencontre, de l’écoute, de la solidarité, de l’attention à accorder à la personne voulant attenter à ses jours.
Si une personne ne va pas bien, elle n’a pas forcément une maladie mentale. Nous déléguons sans doute trop souvent aux psychiatres et au psychologues. Le suicide nous touche tous de près ou de loin et n’est pas un fait exceptionnel. C’est un acte spécifiquement humain même s’il réalise un irrémédiable et un définitif de son propre chef. Il ne s’agit ni d’égoïsme dans cet acte, ni de lâcheté visant à plonger l’entourage dans le remord, ni non plus un déshonneur à cacher à tout prix.
En dehors de certaines pathologies extrêmes, on peut dire que tout suicide a sans doute un sens puisqu’il est un acte où s’exprime l’homme.

Extrait du Deutéronome : « Aujourd’hui, je place devant vous la vie et le bonheur d’une part, la mort et le malheur d’autre part. Prenez donc attention au commandement que je vous communique aujourd’hui. Acceptez d’aimer le Seigneur votre Dieu, de suivre le chemin qu’il vous trace, d’obéir à ses commandements, à ses lois et à ses règles. Alors vous pourrez vivre, vous deviendrez nombreux… Oui, je vous avertis solennellement aujourd’hui, le ciel et la terre m’en sont témoins. Je place devant vous la vie et la mort d’une part, la bénédiction et la malédiction d’autre part. Choisissez donc la vie afin que vous puissiez vivre ».

Ainsi le suicide paraît être ici un avenir non possible pour la vie. C’est une impulsion qui amène une personne à ne pas prolonger de demeurer plus longtemps avec les vivants car il pense qu’il n’a plus la force de vivre en leur compagnie. Ainsi, il manifeste sa liberté… et en même temps, il l’arrête. A nous de déchiffrer le silence laissé par celui qui a renoncé à la vie alors même qu’il n’y a plus de dialogue possible, plus de co-humanité avec lui.

Lors d’une permanence à « SOS suicide », un homme est venu parler du suicide de son fils de 14 ans. L’enfant avait pris la décision de se suicider un an auparavant et en avait fixé la date. Son père ne pouvait supporter l’idée que durant toute une année, ils avaient en famille pris des vacances joyeuses et que son fils bon élève avait noté dans son journal intime la date de sa décision de mourir sans rien laisser paraître. Cet homme a parlé durant presque 1 heure et ne demandait rien. Brusquement, il a coupé court et est parti. J’ai eu le sentiment qu’il aurait souhaité revenir en arrière pour pouvoir parler, pour que quelque chose de la co-humanité soit encore possible dans cette famille.
Si donc l’homme, par son suicide exprime son choix proprement humain, il exerce un irrévocable par lequel il se soustrait à notre fréquentation.

Comment arrive-t-on à ce choix sans retour et qu’en dire moralement ?

La vie humaine n’est pas une évidence comme cela l’est pour la nature qui croît au rythme cyclique des saisons. Si la vie était évidente, il n’y aurait pas de place pour autre chose que la nécessité. Il n’y aurait pas de place pour la liberté. Donc, cette évidence est admise ou elle ne l’est pas. Il n’y a pas d’intermédiaire. Dans le monde du vivant, l’homme est le seul à pouvoir prendre conscience que sa vie est un don, il est le seul à pouvoir s’étonner, s’émerveiller d’être en vie.

C’est l’expression même de sa liberté de recevoir la vie comme un don ou au contraire, de protester de ce don, de s’en indigner. Si le don de la vie est menacé c’est parce que l’homme est interrogatif « Pourquoi ? » « Comment ? » « Quel est le sens ? » « Qui suis-je ? » « Où vais-je ? »… L’homme est un être sensible, fragile. Les périodes de grandes fragilités viennent de ces passages de déconstruction qui vont de l’enfance à l’adolescence et de la vie active à la vie passive.

Les personnes créatives ne sont-elles pas plus fragiles que les autres ?

Van Gogh, Primo Levi, Montherlant, Virginia Woolf… Patrick Deweert, Romy Shneider… Elles ont certainement une plus grande lucidité sur les menaces destructrices qui viennent de l’intériorité et surgissent sans forcément de raisons évidentes. Ces menaces intérieures sont fréquemment liées à un secret non communicable.
Il est étrange de constater que le suicide semble moins fréquent en temps de conflit, de guerre, d’oppression.

La vie serait-elle menacée par le cumul d’accablements ?

malchance, impasse, angoisse, maladie, échec, séparation, chômage… Les résistances humaines s’affaiblissent et l’espérance s’étiole. La malédiction peut l’emporter sur la bénédiction.
Découragements de nous-mêmes et des autres sur nous-mêmes mais que l’on ne parvient pas à exprimer alors que ce qui est insupportable au point d’être mortel devrait pouvoir se dire.

D’après Jean Baechler il existe 4 types de suicides :

  • Suicide de type escapiste : le traître prenant conscience de son acte mauvais et qui veut échapper à la honte.
  • Suicide agressif : Pour punir l’autre… « tu me contraries alors je meurs et tu en porteras pour toujours la culpabilité ». Vengeance et demande de réparation.
  • Suicide oblatif : Pour une cause, ou pour sauver l’autre.
  • Suicide ludique : Par jeu, bravade ou paris insensés.

Mais il y a aussi le désespoir qui ne porte pas d’étiquette et qui est une vraie menace pour la vie.

La place de la parole :

La parole c’est l’humain, et le suicide aussi c’est l’humain et on ne peut désolidariser parole et suicide. Il faut entendre celui qui parle, l’ECOUTER !
Lorsque nous nous proposons d’écouter une personne, il faut le laisser aller jusqu’au bout de sa parole, même si elle nous paraît irrecevable, insensée, illogique, déraisonnable car il s’agit moins de sa parole que de lui. La vérité de ce qu’il dit n’a pas forcément d’importance car si la parole n’est pas vraie, la souffrance, elle, l’est. Cette vérité souffrante est plus importante que la véracité de la parole. L’essentiel dans l’homme ce n’est pas la raison, l’essentiel dans l’homme c’est l’amour.

Si une personne fragilisée dit une parole qui nous semble stupide, irraisonnée, inadaptée, elle a tout de même des raisons de dire cette parole. Elle n’a pas raison, elle a ses raisons qu’il nous faut appréhender même si nous n’en comprenons pas le sens. Il ne faut pas banaliser cette parole ou l’ignorer ou l’interpréter comme un chantage.
Il faut accepter la part de mystère pour poursuivre le dialogue.
Parfois, on peut avoir des appels muets. Aucune parole, juste une respiration. Il s’agit d’une parole qui voudrait être dite, qui pourrait être dite.
Le suicide est un acte qui clôt toute parole. Il est dans la majorité des cas précédé de cette période où, ne pouvant pas parler aux autres, la mort parle de plus en plus à celui qui va passer à l’acte, qui va vraiment agir, qui va imploser dans l’acte et qui, peut-être va regretter que son acte n’aboutisse pas et qui va « récidiver » plus tard.

Je pense, après des années à « SOS suicide » que le suicide est un manque de parole. Pas du tout une trahison comme le pensent ou le disent les familles et les proches. Ce qui ne peut pas se dire est amené tragiquement parfois à se montrer.
Au terme de cette intervention qui responsabilise chacun de nous, je pense qu’il nous appartient d’essayer de faire percevoir que la VIE n’est pas une évidence mais un DON.

Pasteur Lestringant Pt (Lors d'une conférence)
Association SOS Suicide, Paris.

 

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