« Elle me regardait comme une personne » : se libérer de la dictature de l’urgence

Il n’y a rien de pire si on ne veut pas regarder l’autre comme une personne que de rentrer dans la toute-puissance. L’autre a toujours des choses urgentes à vous demander, alors on veut répondre tout de suite et c’est une espèce d’engrenage, sous couvert de l’urgence

" Elle me regardait comme une personne " (Bernadette Soubirous)

(2) Se libérer de la dictature de l’urgence

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Se libérer de la dictature de l’Urgence pour se détendre et se fortifier !

Je vais partir sur une deuxième chose dont il faut se libérer, il faut sortir de la dictature de l’urgence, Il n’y a rien de pire si on ne veut pas regarder l’autre comme une personne que de rentrer dans la toute-puissance. L’autre a toujours des choses urgentes à vous demander, alors on veut répondre tout de suite et c’est une espèce d’engrenage, sous couvert de l’urgence. On le voit quand on travaille avec des personnes qui sont abîmées par la vie, en souffrance psychique, qui ont de longues histoires de misère ou d’exclusion. On sait bien que ce n’est pas en 2 minutes que les choses se règlent. Or, maintenant, c’est encore infernal alors que l’on vient de fêter cette année les 10 ans de la loi contre les exclusions, cette loi qui avait été pensée par le Père Joseph Wresinski pour sortir de la dictature de l’urgence. On pensait qu’avec le RMI on allait arrêter de faire des choses à toute vitesse et puis, je ne sais quel énarque a inventé cela : on a inventé des dispositifs d’urgence. Il y a l’urgence maintenant, comme si chaque hiver la pauvreté elle retombait. On a même inventé des lits d’extrême urgence, des restaurants d’urgence, des soins d’urgence. C’est incroyable ! Et plus on a besoin de travailler au long cours et plus on a des services d’urgence. Il y a des bataillons de travailleurs sociaux et des services d’accueil, d’orientation qui gèrent de l’urgence et on épuise les gens dans de l’urgence. Et là-dedans quand il faut travailler au long cours, on ne fait pas les choses dans l’immédiateté. On peut dépanner.

Il y a un texte qui me semble très beau, qui est souvent repris comme un symbole de l’urgence, c’est le texte du Samaritain en St Luc. On raconte cette histoire d’un homme qui en voit un autre qui est sur le bord de la route. On pourrait en discuter longuement. Dans ce texte il y a plusieurs choses qui me semblent pleins d’enseignement d’un point de vue psycho-social, anthropologique. Cet homme, le samaritain voit l’autre sur le bord du chemin. Que fait-il ? Il voit, il est attentif, il se laisse toucher, il est même pris aux tripes, il est pris de pitié. Cette compassion il ne s’y enferme pas. Il pose des actes très très vite : il s’approche, le met sur sa propre monture, verse de l’huile et du vin, mais ce qu’il fait surtout qui est extraordinaire, il le conduit à l’auberge et l’amène auprès de quelqu’un de plus compétent que lui. Il passe le relais. Il ne se prend pas lui-même pour le bon Dieu, pour la Providence. Il a compris que s’il voulait régler tous ces problèmes concrets il fallait qu’il fasse équipe avec quelqu’un d’autre. Mais il a la qualité de ne pas se débarrasser de la "patate chaude". Il sait que ça va coûter cher, alors on dit qu’il sort de sa poche un peu de monnaie et il dit "Je vais revenir voir".

Ce texte est magnifique parce que déjà Ambroise de Milan, un Père de l’Église quand il le médite dit :" D’abord il faut réaliser que c’est moi qui suis sur le bord du chemin". Je ne peux pas comprendre ce texte si je ne réalise pas d’abord que c’est moi qui étais au bord de la route et que le Seigneur, c’est Lui le samaritain qui m’a pris sur sa propre monture, m’a déposé dans l’auberge qui est son Église, jusqu’à son retour et il reviendra me voir. Il nous confie les uns aux autres comme des aubergistes qui ont besoin de prendre soin les uns des autres. Ce texte nous dit que pour sortir de l’urgence il ne faut pas rester seul, il faut passer le relais, faire du travail en équipe. Dans la qualité de la relation, cet homme s’approche. Il a donc une relation de proximité, il n’entend pas parler, il va voir. Souvent on entend parler des gens et on ne va pas les voir. Je parlais des Roms tout à l’heure, quand les gens n’ont pas été sur le terrain pour voir, pour rencontrer, ils parlent sur des "on dit" et rien ne peut se faire. Il y a un petit clin d’œil : l’évangile parle aussi de manière symbolique et nous dit que le samaritain met de l’huile et du vin. Ce sont des choses très symboliques qui sont pleines d’enseignement parce que dans la bible, l’huile c’est ce qui détend et le vin ce qui fortifie. C’est très bien de garder comme critères d’évaluation de nos manières d’accueillir, de faire, de vivre en Église, de dire est-ce que nos relations ce sont des relations qui détendent, qui fortifient ou des relations qui crispent et affaiblissent l’autre ?

Le samaritain c’est celui qui est capable de passer des relais, de se rendre proche, de poser des actes et d’avoir une relation qui détend et qui fortifie. C’est extraordinaire, ce texte de l’évangile ! C’est en lui-même un manuel de psychologie sociale. De temps en temps je vais faire des exposés à l’école de service social pour les assistantes sociales. Je ne leur dis pas que c’est l’évangile, je leur dis que c’est un vieux texte oriental, ça marche mieux. Je leur dis qu’on raconte que c’est de là qu’a été inspirée la loi française de l’assistance à personne en danger, mais il faut bien regarder de près parce qu’il y a des référentiels de la pratique sociale : se rendre proche, passer des relais et avoir un positionnement professionnel qui détend et qui fortifie, qui n’humilie pas, qui met à la hauteur.

Ce texte est magnifique parce qu’il nous permet cela, il nous apprend à être responsables. Qu’est-ce que cela veut dire être responsable ? "Respons habilis" en latin cela veut dire "être habile à trouver une réponse"... On est responsable quand face à une situation on est habile à trouver la réponse. On le voit bien quelque soit le niveau d’engagement, de responsabilité.

Ce texte nous apprend que pour être responsable, il faut sortir de cette logique de l’urgence, c’est le seul moyen pour regarder l’autre comme une personne. Si je le regarde simplement comme un problème, comme un cas à régler, comme une situation dont il faut que je me débarrasse pour être tranquille et continuer ma route, je ne le considère pas comme une personne. On peut y repenser aussi dans nos manières de vivre dans les groupes et les communautés. Je prends l’exemple des pèlerinages. On parle souvent dans certains diocèses de la mise en place des voyages de l’Espérance, de projets de visitations. Ce qui est important quand on a un projet de voyage de l’Espérance, c’est que cela donne de la perspective. Il y a des gens qui, à force de vivre au quotidien dans les difficultés, la souffrance psychique, la précarité sont enfermés dans une espèce d’errance et parfois cela finit par errer dans leur tête. Le fait d’aller en voyage cela donne ce qu’on appelle une itinérance. "Iter", cela veut dire "chemin". On a un but dans l’année. Ce n’est pas seulement le temps des 8 jours que l’on va vivre à Lourdes ou peut-être à Nevers, mais ça donne un projet et déjà on est en pèlerinage, en itinérance dans sa tête. Quand on revient on a des liens qui se sont créés, des choses à raconter aux autres, des visites à faire. Donc passer de l’errance à l’itinérance. C’est quelque chose d’incroyable parce que cela veut dire qu’il y a un chemin qui se fait dans notre cœur. Il y a un psaume qui dit : " Tu as ouvert un passage devant moi, tu as marqué un chemin". Le samaritain c’est cela : sortir de l’urgence, c’est prendre le temps et je vois que tous ceux qui sont enfermés dans des structures d’urgence, quand on leur propose un temps comme le voyage de l’Espérance, on est toujours impressionné de la réponse parce que cela remet de la perspective. On a des projets communs, à faire ensemble. Ce n’est pas seulement un acte de piété.

Donc le deuxième passage, la deuxième peur : sortir de l’urgence, c’est trouver des perspectives et des projets qui nous permettent de nous rendre proche, de vivre en équipe, en communauté, de passer des relais et d’avoir des actes qui fortifient et qui détendent et non qui crispent et humilient.

De Gilles Rebèche, diacre du diocèse de Fréjus-Toulon

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